Pierre-Louis Herold

- Oui, ça va chauffer avec mes arts.

Il y a chez Hérold Pierre Louis la certitude clamée que sa peinture mérite l’attention qu’elle obtiendra tôt ou tard. Je me souviens l’avoir rencontré – il devait avoir 19 ans – tout au bord de la Grand-rue, au milieu des soudeurs et des réparateurs de pneus : la maisonnette de bois où il vit frôle la maisonnette de bois où il travaille. C’était une Biennale d’art nommée Ghetto, dans un pays intérieur dirigé par des sculpteurs comme Eugène, Céleur ou Gyodo. Le simple fait que, au coeur du tohu-bohu visuel, dansent des crânes et des bois, cette débauche écrasante d’art, on remarque immédiatement la peinture d’Herold, cela attestait déjà la singularité de cette œuvre. Il est né au milieu d’un spectacle si puissant que ses menues toiles sur carton ont dû ouvrir des chemins de traverse.

Hérold Pierre-Louis peint beaucoup - ses murs, comme ceux des musées florentins, sont recouverts du sol au plafond, deux couches, de petits formats intenses ; sous son lit, il cache les meilleures pièces et prend chaque jour Facebook à témoin de ce journal intime où son réel est tissé de refrains tragiques, drôles, les deux. Il peint un médecin blanc qui soigne une maman rat dans un hôpital pour rats. Il peint trois soupirants qui attendent à genoux qu’une femme s’arrache littéralement le cœur pour eux. Il peint des peintres, Basquiat, Picasso, Herold, dans la suite logique des grands hommes. Il peint l’effroi, la mélancolie, le désir éperdu d’Amérique d’une malade dont les draps, la robe, le rideau sont tissés aux couleurs du grand voisin.

Hérold lorsqu’il publie ses toiles sur internet, les accompagne en général d’un récit qu’il traduit automatiquement en anglais pour ses collectionneurs lointains. « L’histoire de mon art : un homme est mort, il ressuscite et ressuscite encore. » Chaque œuvre est la démonstration visuelle d’une intuition qui déborde, d’une affliction qui le hante. Hérold Pierre Louis est d’abord peintre dans les motifs répétés jusqu’à l’hypnose, la façon qu’il a de déplacer légèrement le monde dans les fractales du songe. Il peint l’ailleurs et les autres. « Je ne fais pas de la peinture vaudou comme la plupart de mes collègues parce que je veux faire quelque chose de différent. »

Ce qui frappe le visiteur qui observe pour la première fois les aplats secs d’Hérold, c’est le teint rose de l’essentiel des personnages. Il peint les blancs, des Blancs coloniaux sur des girafes de Google, des Blancs violacés de royaumes impossibles, bouffis, des blancs vus sur les réseaux sociaux, des acheteurs, comme Michel-Ange peignait ses mécènes. Hérold peint autrui, le toiletteur pour chiens, le critique d’art ceinturé par les caméras. Il peint le monde tel qu’il le voit mais aussi tel qu’il le verra quand sa peinture aura conquis les territoires auxquels elle aspire. Toutes ces images cumulées, additionnées, agglutinées, tirées du virtuel et qui finissent par faire tableau.

- Ça va chauffer avec mes arts.

Il ne dit pas « mon art ». Je regarde les dizaines de tableaux de Hérold dont je garde toujours la trace sur mon téléphone portable. Ils sont d’une beauté étourdissante, toujours légèrement décalés par rapport à ce qu’on connaît d’eux. Mais surtout, ils ne s’épuisent pas dans leurs usages, leurs techniques ou leurs trucs. À cet instant précis, je suis comme avalé par un tableau de Hérold Pierre Louis. C’est une femme en robe blanche, de dos, ses mains sont menottées ; deux gardiens en uniforme, absolument semblables, la ceinturent : l’un porte une matraque, l’autre une rose. La femme a abandonné son sac à main par terre, elle se regarde dans un miroir au fond duquel se distinguent les barreaux de sa cellule. Il y a un chat blanc au-dessus du miroir, un chat blanc aux pieds de la femme, un chat gris qui dort. Au plafond, des projecteurs qui rappellent ceux des studios de télévision.

On ne sait pas d’où surgit cette vision. Mais l’émotion qu’elle suscite, la violence calme, technique, de cette mise en scène, ce théâtre de l’enfermement, tout cela traduit une intelligence du regard qu’on n’a pas rencontré souvent. Hérold Pierre Louis a 22 ans. Il ne parle pas seulement de son pays mais de nous tous. De la peur d’être seul. D’être confiné. Et de l’esprit comme échappée belle.

Cela va sans doute chauffer avec ses arts.

par Arnaud Robert