L’artiste peintre Gérard Fortuné est mort à 86 ans, à Montagne-Noire, le dimanche 8 décembre 2019. Il a laissé derrière lui des milliers de tableaux. Ses funérailles seront chantées le samedi 14 décembre 2019 en l’église Saint-Pierre de Pétion-Ville.

La légende raconte que Gérard Fortuné qui n’était fortuné que de nom peignait un tableau par jour. Le cinéaste Arnold Antonin, qui aime présenter cet artiste sous ce jour merveilleux, avait saisi dans la lumière le dernier des plus grands peintres naïfs haïtiens dans un documentaire. Il le montre vraisemblablement comme un artiste qui se shootait à la peinture. Ce passionné ne pouvait passer un jour sans mettre au monde un nouveau tableau. Au décompte, après une année, il réussit à produire 365 tableaux! Et il a procédé ainsi, raconte Antonin, pendant longtemps.

Cet athlète de l’art naïf avait de quoi pour figurer dans le Guinness des records. Curieusement, l’artiste qui se saignait les veines pour créer vivait dans le dénuement. La caméra du cinéaste a dressé le portrait de Fortuné dans son très modeste milieu de vie.

Quand on présente ce que l’homme a réalisé en nombre imposant dans la peinture et sa condition de vie, le cœur du spectateur qui suit le film fait un nœud. On ne veut pas croire que Gérard Fortuné figurait dans les collections permanentes de l’Université Ramapo, dans le New Jersey, au Musée Waterloo d’Art dans l’Iowa et en France au Musée d’Aquitaine, à Bordeaux. On ne veut pas croire que les peintures de cet artiste exposées à travers le monde sont publiées dans Où l’Art est la Joie (Rodman, 1988), le Dialogue du Réel et de L’imaginaire (1990) et l’Île en feu (Demme, 1997), pour ne citer que ceux-là.

Non! et non! La vie d’un artiste en Haïti ne peut pas présenter ce tableau.

Quelle leçon pour nombre de jeunes Haïtiens d’aujourd’hui qui n’accordent plus foi au travail ! Quelle leçon pour cette jeunesse noyée sous un flot de nouvelles qui mettent la corruption sous les feux de l’actualité !  Depuis toujours dans ce pays, « bourik travay pou chwal galonnen ». Beaucoup de spectateurs ont retenu cet amer et lancinant message dans ce portrait mis en valeur dans le film-documentaire du prolifique Antonin.

Pour survivre, Gérard Fortuné a été cuisinier dans un hôtel. Durant les périodes carnavalesques, il montait sur ses longues échasses pour se faire un peu de sous. C’est ainsi qu’il a hérité le surnom de « janmdebwa ».

Gérard Fortuné, un être extraordinaire

A la sortie du film documentaire de 20 minutes « Gérard Fortuné le dernier des naïfs » présenté par le Centre Pétion-Bolivar à la FOKAL, en octobre 2015, Arnold Antonin avait déclaré : « Gérard Fortuné est un peintre extrêmement prolifique, plus connu peut-être à l’extérieur qu’en Haïti. C’est en France que j’ai découvert la quantité de collectionneurs et d’admirateurs qu’il avait. »

Un être aussi extraordinaire méritait un film. Qui va donner cette idée de réaliser un portrait de ce peintre? « Quand Pascale Monnin m’a fait part de son projet de monographie en me disant : Arnold, il faut faire un film sur Gérard, ça m’a tout de suite accroché. Je crois que cette boulimie de création fait partie des mécanismes mêmes de la création chez Gérard. Je ne crois pas qu’il y ait un autre peintre aussi prolifique sur la terre. Il y a cependant des artistes de ce genre. Lope de Vega écrivait un poème par jour. Il y a une cinéaste japonaise qui fait un film pratiquement tous les mois. Mais la boulimie de Gérard est une boulimie tranquille, sans transes, comme si cela allait de soi et c’est cela qui me semble fascinant », souligne le cinéaste. On était en 2015.

Dans un message qu’Antonin nous a adressé, hier, son émotion se lit : « Gérard Fortuné, l’homme qui peignait un nouveau tableau tous les jours, le dernier des grands peintres naïfs, n’est plus. C’est son neveu qui me l’a annoncé. Je n’en reviens pas. Gérard était de ces êtres qui donnent l’impression d’être éternels. Non pas à cause de son énergie à ses 84 ans mais parce qu’il a été toujours dans un autre monde, survolant avec légèreté et le sourire toutes les contingences de la vie d’ici-bas. Il est monté à 82 ans sur ses échasses qui le faisait appeler jambes de bois dans son quartier lors du tournage du film que j’ai réalisé sur lui. Grand peintre et grand cuisinier, Gérard mon ami me manquera. »